vendredi 15 mai 2015

Histoire de Pleyel chapitre IV/IV

Après le 3ème chapitre.

Ces entrepreneurs sur quatre générations, nous ont démontré ce que des musiciens intelligents et décidés savent faire. Ils sont parfaitement modernes. ils me donnent l'envie de continuer leur histoire, de la pousser à l'extrême du savoir et de l'esthétisme, alors que nos contemporains ne se sont occupés que de contenants politiques sans contenu !

Venons-en à ce contenant qui a du contenu, ce grand auditorium. C'est cette humanité et cette intelligence qui va guider Gustave Lyon dans la création de la grande Salle Pleyel.
Imaginez : vous vous trouvez face à un palais art-déco ; ce style né en France dans les années 1920 et qui est devenu mondial. Vous entrez dans une vaste rotonde avec 9 colonnes gigantesques disposées en cercle soutenant un puis de lumière qui rejailli au sol sur une marqueterie en étoile de marbre blanc crème et noir, comme pour dire au visiteur "venez, ici il y a de la lumière", et le papillon entre se baigner dans la lumière vive et chaude apportée par les décors et ferronneries en bronze doré. Vous entrez dans le grand hall majestueux très dépouillé mais chaleureux avec de merveilleuses marqueteries blanches et noires au sol et un plafond formé par de grands carrés de marbre beige, diffusant une lumière indirecte.

Vous accédez aux trois salles par quatre escaliers montants pour la grande salle et deux escaliers descendants pour la salle Chopin de 500 places et la salle Debussy de 150 places. Et là, en montant l'escalier, en poussant les doubles portes de cuir noir, vous vous trouvez soudainement dans un monde nouveau : un vaste auditorium aux formes rondes, aux murs d'un doré sourd longs de 50 mètres, larges de 30 mètres et s'envolant sur 17 mètres éclairés de lumières indirectes, avec 3000 fauteuils recouverts de peau de vache blanche et noire, ancrés dans un parquet de bois d'angélique, des fresques dans les tons de mauve parcourant la base des murs jusqu'au premier balcon.

Un délire de simplicité et de richesse. Entrer dans cet halo doré tout en formes courbes, préfigure les aventures humaines futures. Il est clair que Gustave Lyon veut donner une nouvelle spatialisation du concert symphonique, là où le son devient roi et les émotions sublimées. Et poser son arrière-train sur de la peau de vache ramène aux sources de la nature, la grande inspiratrice !
C'est autant une sublimation architecturale, qu'acoustique, qu'il réalise. Il invente l'architecture de l'acoustique, l'orthophonie, grâce en partie à sa recherche sur l'évolution du piano, comme démontré précédemment. Il invente une scène qui a la forme d'un porte-voix dirigé vers une immense voûte en briques recouverte de béton d'un seul tenant, sans support apparent. Pour diffuser le son pleinement à 3000 spectateurs, il faut de la puissance et donc le son va être projeté du point central de la scène vers chaque fauteuil par un système de calculs d'ondes directes et indirectes, un peu comme au jeu du billard.

Et ainsi, je vous assure que l'on pouvait chuchoter sur scène et qu'au dernier rang du 2ème balcon, on entendait parfaitement. Pas besoin de micros ! Un soir lors d'un concert, Roch Olivier Maistre, alors à la mairie de Paris et depuis président du conseil d'administration de la cité de la musique, vint me voir. Je le fis monter et asseoir sur les dernières marches du dernier balcon pour qu'il apprécie la beauté du son. Elle était inexplicable. Qu'est ce qu'un beau son ? 
Outre la qualité de l'interprète, qu'est ce qui vous garantit une belle sonorité ? les systèmes de diffusion électroniques ? la qualité des matériaux ? Non. C'est la synergie entre la conception du bâtiment, la disposition technique des divers éléments et la spiritualité du lieu. C'est pourquoi le sujet de l'acoustique mène à des critiques de toutes natures, sans vrai fondement car la beauté du son est indescriptible, parfaitement abstraite sauf à nous émouvoir aux larmes.

Outre les espaces de concerts, Auguste a prévu la construction de studios de musique à louer, des surfaces d'expositions de pianos, un bar, un atelier de réparation d'instruments, et pour aérer tout cela il invente l'air rafraîchi, qui grâce à des réservoirs d'eau glacée placés sur le toit, va rafraichir par des bouches d'air les salles de concerts.

C'est l'ancêtre et peut-être le futur de l'air conditionné. De l'aveu de l'architecte Paul Andreu qui me reçut en 2005 en Chine à Beijing, pour visiter son "nouveau centre national des arts" la Salle Pleyel fut son modèle pour construire sa salle symphonique. De même à Lucerne, Jean Nouvel qui édifia en 1998 une salle de concerts en forme de conque de bateau, s'inspira de la conque d'oreille de Gustave.


Fin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire